vendredi 10 juin 2011

Aller vite ? Mais aller où ?

Entre le Français du XVIIe et un Athénien de l’époque de Périclès [Ve av. JC], ou un romain du temps d’Auguste [Ie av. JC, Ie ap. JC], il y a mille traits communs, au lieu que la Machinerie nous prépare un type d’homme… Mais à quoi bon vous dire quel type d’hommes elle prépare. Imbéciles ! n’êtes-vous pas les fils ou les petits-fils d’autres imbéciles qui, au temps de ma jeunesse, face à ce colossal Bazar que fut la prétendue Exposition Universelle de 1900, s’attendrissaient sur la noble émulation des concurrences commerciales, sur les luttes pacifiques de l’industrie ? A quoi bon, puisque l’expérience de 1914 ne vous a pas suffi ? Celle de 1940 ne vous servira d’ailleurs pas davantage. Trente, soixante, cent millions de morts ne vous détourneraient pas de votre idée fixe : « aller plus vite, par n’importe quel moyen ».

Aller vite ? Mais aller où ? Comme cela vous importe peu, imbéciles ! Dans le moment même où vous lisez ces deux mots : « aller vite », j’ai beau vous traiter d’imbéciles, vous ne me suivez plus. Déjà votre regard vacille, prend l’expression vague et têtue de l’enfant vicieux pressé de retourner à sa rêverie solitaire… « Le café au lait à Paris, l’apéritif à Chandernagor et le dîner à San Francisco, vous vous rendez compte ! » Oh, dans la prochaine inévitable guerre, les tanks lance-flammes pourront cracher leur jet à deux mille mètres au lieu de cinquante, le visage de vos fils bouillir instantanément et leurs yeux sauter hors de l’orbite, chiens que vous êtes ! La paix venue, vous recommencerez à vous féliciter du progrès mécanique. « Paris-Marseille en un quart d’heure, c’est formidable ! » Car vos fils et vos filles peuvent crever : le grand problème à résoudre sera toujours de transporter vos viandes à la vitesse de l’éclair. Hélas ! C’est vous que vous fuyez, vous-mêmes – chacun de vous se fuit soi-même, comme s’il espérait courir assez vite pour sortir enfin de sa gaine de peau…

On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre tout espèce de vie intérieure. Hélas ! La liberté n’est pourtant qu’en vous, imbéciles !

Georges Bernanos, La France contre les robots (1944).

2 commentaires:

Kromag a dit…

Mouais c'est typiquement humain de vouloir aller toujours plus loin.

Ce n'est d'ailleurs pas nécessairement une mauvaise chose, on peut pas estimer ce que le progrès a tué et sauvé.

C'est facile de prendre pour exemple les guerres mondiales. Alors que sans les progrès de la médecine, il y aurait surement moins de personne en vie en 1914 et donc moins de gens à tuer. Et alors ?

C'est pour ça qu'on devrait garder une mortalité infantile importante ? Pour que les guerres tuent moins ?

Ca ressemble plus à de la peur, voir de la lâcheté.

sky saxon a dit…

Devant les détresses de la vie , la science n'a absolument rien à nous dire...

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