jeudi 14 octobre 2010

Ernst Jünger, Visite à Godenholm.

"Il savait que le naufrage avait eu lieu, et que l'on flottait sur un radeau bâti de bois d'épave. La sécurité y était moindre, et les valeurs provisoires, mais, malgré tout, on vivait encore de l'héritage, et il subsistait encore bien des obligations, et bien des moments aussi où l'on continuait à jouir de la vie.

Certes, la durée de ce radeau était bien plus limitée que jadis celle du navire. La dislocation était prévisible. Tout était charpenté vaille que vaille. Si les cordes cédaient, il ne restait plus que l'abîme sans fond des éléments - et qui oserait le braver? Telle était la question qui, pour l'instant, préoccupait les hommes. Tous vivaient à la dérive, dans l'attente de la catastrophe, non plus dans l'exubérance, comme autrefois, mais dans les affres de l'angoisse apocalyptique.

Examiner par petits groupes la situation, en tâter les frontières, d'expérience en expérience, ce comportement n'était pas absurde. Il n'y avait là rien de nouveau; on l'avait toujours fait lors des grandes mutations, dans les déserts, les couvents, les ermitages, dans les sectes de stoïciens et de gnostiques, rassemblées autour des philosophes, des prophètes et des initiés. Il y avait toujours une conscience, une sapience supérieure à la contrainte de l'histoire. Elle ne pouvait d'abord s'épanouir qu'en peu d'esprits et, pourtant, c'était la limite à partir de laquelle le pendule inversait son battement. Mais il fallait que pour commencer, quelqu'un eût pris sur lui le risque spirituel d'arrêter le pendule."

1 commentaires:

Anonyme a dit…

"Ernst Jünger : un autre destin européen", par Dominique Venner

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