Entre le Français du XVIIe et un Athénien de l’époque de Périclès [Ve av. JC], ou un romain du temps d’Auguste [Ie av. JC, Ie ap. JC], il y a mille traits communs, au lieu que la Machinerie nous prépare un type d’homme… Mais à quoi bon vous dire quel type d’hommes elle prépare. Imbéciles ! n’êtes-vous pas les fils ou les petits-fils d’autres imbéciles qui, au temps de ma jeunesse, face à ce colossal Bazar que fut la prétendue Exposition Universelle de 1900, s’attendrissaient sur la noble émulation des concurrences commerciales, sur les luttes pacifiques de l’industrie ? A quoi bon, puisque l’expérience de 1914 ne vous a pas suffi ? Celle de 1940 ne vous servira d’ailleurs pas davantage. Trente, soixante, cent millions de morts ne vous détourneraient pas de votre idée fixe : « aller plus vite, par n’importe quel moyen ».
Aller vite ? Mais aller où ? Comme cela vous importe peu, imbéciles ! Dans le moment même où vous lisez ces deux mots : « aller vite », j’ai beau vous traiter d’imbéciles, vous ne me suivez plus. Déjà votre regard vacille, prend l’expression vague et têtue de l’enfant vicieux pressé de retourner à sa rêverie solitaire… « Le café au lait à Paris, l’apéritif à Chandernagor et le dîner à San Francisco, vous vous rendez compte ! » Oh, dans la prochaine inévitable guerre, les tanks lance-flammes pourront cracher leur jet à deux mille mètres au lieu de cinquante, le visage de vos fils bouillir instantanément et leurs yeux sauter hors de l’orbite, chiens que vous êtes ! La paix venue, vous recommencerez à vous féliciter du progrès mécanique. « Paris-Marseille en un quart d’heure, c’est formidable ! » Car vos fils et vos filles peuvent crever : le grand problème à résoudre sera toujours de transporter vos viandes à la vitesse de l’éclair. Hélas ! C’est vous que vous fuyez, vous-mêmes – chacun de vous se fuit soi-même, comme s’il espérait courir assez vite pour sortir enfin de sa gaine de peau…
On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre tout espèce de vie intérieure. Hélas ! La liberté n’est pourtant qu’en vous, imbéciles !
Georges Bernanos, La France contre les robots (1944).
Mouais c'est typiquement humain de vouloir aller toujours plus loin.
RépondreSupprimerCe n'est d'ailleurs pas nécessairement une mauvaise chose, on peut pas estimer ce que le progrès a tué et sauvé.
C'est facile de prendre pour exemple les guerres mondiales. Alors que sans les progrès de la médecine, il y aurait surement moins de personne en vie en 1914 et donc moins de gens à tuer. Et alors ?
C'est pour ça qu'on devrait garder une mortalité infantile importante ? Pour que les guerres tuent moins ?
Ca ressemble plus à de la peur, voir de la lâcheté.
Devant les détresses de la vie , la science n'a absolument rien à nous dire...
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